Exomars est-elle passée tout près d’un échec ?

L'observation au télescope de l'étage Briz-M, qui a lancé la sonde européenne Exomars vers la planète rouge, montre bien un nuage d'objets lancés sur une trajectoire voisine.

Dans un article publié le 22 mars 2016, le site Popular Mechanics posait la question : Exomars a-t-elle échappé de peu à un désastre ?

L'auteur, Anatoly Zak, qui tient le blog Russian Space Web, remarque que sur des images prises par un observatoire brésilien, plusieurs objets volent en formation autour de l'étage Briz-M qui a propulsé Exomars sur sa trajectoire interplanétaire, après son lancement réussi par la fusée Proton. Or, il précise qu'aucun débris n'est censé être produit par la séparation entre Briz-M et Exomars. D'où son interrogation : une explosion a-t-elle eu lieu sur cet étage propulsif juste après sa désolidarisation de la sonde européenne ?

Doutes sur la manœuvre ultime

Toujours selon Anatoly Zak, Briz-M devait, après avoir largué Exomars, procéder à deux mises à feu destinées à l'éloigner de la trajectoire vers Mars. Ceci parce que cet élément n'est pas stérilisé et que s'il poursuit sa route vers la planète rouge, il risque de s'écraser dessus et, le cas échéant, de la contaminer avec des organismes terrestres. Or, certaines des prochaines sondes martiennes ont précisément pour but de chercher si cette planète abrite ou non une forme de vie... il serait dommage d'y découvrir de la vie importée de la Terre.

Ce sont justement ces deux mises à feu qui pourraient ne pas avoir eu lieu, suite à une défaillance du Briz-M.

Vue d'artiste d’Exomars (à droite) juste après sa séparation avec Briz-M (à gauche). © ESA.

Dans le même temps, l'Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé via un communiqué que la sonde Exomars était en bonne santé. Son injection sur la trajectoire interplanétaire s'est faite avec une excellente précision (moins de 1,5 m/s de différence avec la vitesse idéale). Le site Spaceflight Now, dans un article du 23 mars 2016, rapporte même que Michel Denis, directeur de vol d'Exomars à Damrstadt, à qui la question d'une défaillance post-séparation du Briz-M a été posée, a précisé qu'aucun débris issu d'une éventuelle explosion n'avait percuté la sonde.

Si une explosion a eu lieu, elle s'est donc produite alors que les deux engins étaient déjà à distance respectable, sans quoi, Exomars aurait reçu des débris.

Mutisme russe

Interrogés sur ce qui avait pu se produire après la séparation du Briz-M et d'Exomars, les responsables russes de Roscosmos, nous ont répondu : « Le lancement d'Exomars s'est passé normalement, la mission a été lancée avec succès en orbite et actuellement sans aucune complication se poursuit selon le programme et la route. C'est l'opération normale de Briz-M qui a propulsé Exomars par quatre impulsions ». Donc, pas un mot sur les opérations, normales ou non, du Briz-M après sa dernière phase de propulsion vers Mars.

Nous avons ensuite contacté l'ESA qui se borne à répondre : « Nous n'avons aucune information à ajouter. Nous avons une sonde qui fonctionne parfaitement et nous n'avons jamais été prévenu d'aucune anomalie lors de la séparation par nos partenaires russes. » En d'autres termes, les inquiétudes soulevées dans l'article de Popular Mechanics seraient davantage du domaine de la spéculation que de n'importe quoi d'autre...

Retour à l'observation

Si tout s'est bien déroulé pour Briz-M après le largage d'Exomars, n'y aurait-il pas une erreur dans l'analyse des photos faites par le télescope de 1 m de l'observatoire de Sertao de Itaparica (OASI), au Brésil ? Nous avons posé plusieurs questions à Daniela Lazzaro, qui a pris les images et à Marco Micheli, de l'Instituto Nazionale di Astrofisica, en Italie, qui a traité les images et produit une animation.

 

L'animation ci-dessus montre Briz-M (point le plus brillant) se déplaçant parmi les étoiles (les traits brillants) en compagnie d'autres objets moins lumineux. Crédit : OASI Observatory team; D. Lazzaro, S. Silva

Briz-M a été photographié au télescope

Première question : il semble que le point le plus brillant est l'étage Briz-M après sa séparation, est-ce exact ?

Réponse de Marco Micheli : « Oui, je pense que nous pouvons confirmer que la tache la plus brillante de la séquence est bien l'étage supérieur Briz-M, vu quelques heures après sa séparation avec Exomars. Le vaisseau lui-même était environ à un demi-degré, et hors du champ de vue du télescope. »

Au moins dix objets entourent Briz-M

Deuxième question : est-ce que les points moins brillants visibles sont des objets reliés au Briz-M ou peuvent-ils être quelques réflexions secondaires ou autre artefact ?

Réponse de Marco Micheli : « En inspectant les images brutes on peut, en fait, voir au moins 10 de ces fragments plus petits et, avec le même mouvement que Briz-M, ce sont bien des objets en relation avec le lancement. Ils sont visibles sur toutes les images de la séquence, y compris celles qui ont été prises avec des pointages différents du télescope et à différents moments, alors nous sommes confiants dans le fait que ce sont bien des objets réels, pas des artefacts ».

Une brume entoure Briz-M

Troisième question : Il semble qu'un halo nébuleux s'échappe du point le plus brillant ; pouvez-vous dire si ce « nuage » est réel ou s'il s'agit d'une sorte de halo créé par exemple par la diffusion de la lumière sur les optiques du télescope ?

Réponse de Marco Micheli : « Concernant le halo brumeux autour de l'objet, nous pensons aussi qu'une partie est réelle. Le grand motif en U que l'on voit dans l'animation est un artefact inhérent à la CCD, mais le flou aux abords immédiats du corps principal est réel ».

L'accident, une hypothèse raisonnable

En l'absence d'information de la part de l'ESA et de Roscosmos sur le sort de l'étage Briz-M après qu'il a propulsé avec succès Exomars vers sa destination, les seuls éléments pour juger de l'hypothèse d'un accident restent les clichés de l'observatoire OASI. Or, ceux-ci, pris quelques heures après l'injection vers la trajectoire interplanétaire, montrent qu'un nuage de débris vole avec l'étage russe et que, vraisemblablement, un fluide s'en échappe. Le fait qu'Exomars soit en bonne santé indique que, si un problème est survenu, il a eu lieu suffisamment longtemps après la séparation pour que les deux objets aient été séparés de plusieurs kilomètres.

Mise à feu partielle ?

Trop peu d'observations ont été faites pour déterminer si Briz-M s'écarte d'Exomars autant qu'il le devrait. Ce qui est certain, selon Marco Micheli, c'est que les deux trajectoire divergent. Peut-être le signe que la manoeuvre d'écartement a été au moins en partie réalisée.

Quoi qu'il en soit, les photos de l'observatoire OASI accréditent l'hypothèse d'un problème post-séparation. Une information officielle de Roscosmos ou de l'ESA serait la bienvenue.

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