L'événement a longtemps été enfoui dans les archives militaires. Selon Delores Knipp et ses collègues, qui viennent de publier une étude dans la revue Space Weather, il met en lumière l’une des plus puissantes tempêtes solaires jamais enregistrées. Méconnue, et pourtant presque aussi importante que la grande tempête de 1859, dont on dit qu’elle engendra des aurores permettant de lire comme en plein jour !
Une éruption surpuissante
Entre le 2 et le 4 août 1972, un groupe de taches solaires baptisé McMath Region 11976 produit une série de flashes très intenses, avec éjections de particules dirigées vers la Terre. Les premières éruptions provoquent des perturbations dans le champ magnétique terrestre. Surtout, elles « nettoient » l’espace interplanétaire et ouvrent la voie à une éruption encore plus puissante... Le 4 août 1972, une éruption solaire de classe X20 (estimation de 1974) est observée vers 6h30 en temps universel. Un peu moins de 15 heures plus tard, son souffle de particules frappe la Terre. Comme en 1859, il s’est propagé à la vitesse extraordinaire de plus de 10 millions de km/h...
Sur Terre, les conséquences de la tempête sont globalement similaires à celle de l’éruption historique de 1859. Elle génère de spectaculaires aurores en Amérique du Nord, sur la côte sud du Royaume-Uni, et même jusqu’en Espagne (toutefois moins intenses qu’en 1859). Les aurores naissent de l’interaction des électrons du vent solaire avec les atomes et les molécules de l’atmosphère terrestre : l’oxygène et l’azote, excités par collision, reviennent à leur état d’énergie fondamental en émettant des photons.
Perturbations électromagnétiques
La tempête provoque aussi de nombreux incidents dans les réseaux électriques et de communications aux États-Unis et au Canada. Par exemple, la puissance électrique fournie par la Manitoba Hydro Compagny à l’État du Minnesota chute de 120 mégawatts en quelques minutes. Comme si une centrale électrique avec été brutalement éteinte.
En orbite, l’un des satellites Vela de l’US Air Force, destiné à repérer d’éventuelles explosions nucléaires au sol, enregistre un pic de protons. Et le tsunami de particules solaires qui balaie l'espace fait immédiatement « vieillir » de deux ans les panneaux solaires du satellite de télécommunication Intelsat IV F-2, qui perdent 5% de leurs capacités.
Des milliers d'explosions incontrôlées ?
Mais surtout, comme l’observe alors un avion de surveillance, elle provoque la détonation de deux douzaines de mines magnétiques larguées trois mois plus tôt par l'armée américaine dans le golfe du Tonkin. Ces mines sont conçues pour exploser dès que le champ magnétique ambiant dépasse un certain seuil en amplitude, en polarité ou autre – théoriquement au passage de la grande masse métallique d’un bateau. Les perturbations magnétiques provoquées par la tempête solaire avaient suffi à les mystifier !
Des inspections aériennes ont révélé par la suite que d’autres explosions avaient eu lieu au même moment ailleurs le long de la côte. Dans ses mémoires en 2015, l'officier de marine Michael Gonzales évoque plus de 4000 détonations spontanées dans la région. Entre mai 1972 et janvier 1973, expliquent Delores Knipp et ses coauteurs dans leur article, 11 000 mines ont été larguées aux abords des ports du Nord-Vietnam.
Depuis 1972, d'autres éruptions solaires encore plus puissantes ont été observées, notamment en 1989 et en 2003 (ci-dessous). Nous pouvons aussi désormais les suivre à travers le Système solaire. L'armée américaine, elle, a depuis longtemps modifié le système de déclenchement de ses mines marines...