537 sphérules ! Décidément, la petite escapade en mer montée par Abraham « Avi » Loeb (université de Harvard) ne le déçoit pas. L’année dernière, l’astrophysicien s’est mis en tête d’aller récupérer au fond du Pacifique les restes du bolide CNEOS 2014-01-08, tombé au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2014. Convaincu que l’objet provenait d’au-delà du Système solaire, et assurant qu’il pourrait être issu d’une technologie extraterrestre, il est parvenu à monter une expédition sur site, financée à hauteur de 1,5 millions de dollars par Charles Hoskinson, un « crypto-entrepreneur » américain.
Il tombe chaque jour 100 tonnes de matériel extraterrestre sur Terre – et les pierres célestes forgent facilement de minuscules billes lors de leur entrée dans l’atmosphère – mais peu importe : malgré les preuves scientifiques accumulées pour dire que CNEOS 2014-01-08 n’était pas un objet interstellaire, et encore moins artificiel, Avi Loeb persiste. Pour lui, il y a peu de doute, les sphérules pêchées au fond de l’océan sont issues de « son » objet !
Mais alors que leur analyse en laboratoire a commencé, une polémique enfle. La Papouasie-Nouvelle-Guinée se serait senti flouée par la pêche miraculeuse du chercheur américain. Elle lui reprocherait de lui avoir dérobé ce qui lui appartenait...
Du business, ou de la science ?
« Nous avons été trompés », a même déclaré George Pelua Polon, l’administrateur adjoint de la province de Manus, au Daily Mail. Avi Loeb et son équipe auraient court-circuité la procédure légale que doivent suivre les scientifiques étrangers à la Papouasie-Nouvelle-Guinée qui veulent mener des recherches dans le pays.
En temps normal, une demande doit être effectuée auprès de l’institut national de recherche de Papouasie-Nouvelle-Guinée (la PNGNRI) qui, si elle accepte, permet au requérant de se voir attribuer un visa spécial réservé aux scientifiques.
La PNGNRI reprocherait à Avi Loeb d’être venu avec un visa business, ce qu’il avoue lui-même dans son carnet de bord : « En entrant en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les membres de l’équipe [...] ont déclaré que leur visite avait pour but de faire du “business”. » Le chef du service du migration du pays, Stanis Hulahau, a donc confié au Times qu’Avi Loeb et son équipe « pourraient faire l’objet de poursuites pénales pour avoir enlevé des “objets rares” sans en avertir les autorités de l’État. »
L’intéressé nous assure que ces accusations sont infondées, et qu’elles ont été émises par « des fonctionnaires de bas niveau qui n’étaient pas au courant ». Il en veut pour preuve la collaboration au projet de Jim Lem, un scientifique de l’université de technologie de Papouasie-Nouvelle-Guinée, avec laquelle un accord a été signé dès le mois de mai, comme on peut le voir sur un document qu’il a intégré à quasi tous ses posts de blog faisant référence à l’expédition depuis que la polémique a éclaté. « On est bel et bien en contact avec la PNGNRI et c’est même le gouvernement qui nous a mis en contact avec elle », poursuit Avi Loeb.
Pour l'astrophysicien, cette affaire ne serait donc qu’un malentendu. Elle ne l’empêchera pas de retourner en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2024 pour une seconde expédition. Contactés, les autorités et la PNGRI n’ont pas donné suite à nos demandes d’interviews.
Analyses en cours
En attendant le fin mot de l’histoire, les sphérules ont été envoyées pour analyse à quatre laboratoires différents : à l’université Harvard, à l’université Berkeley, à la Bruker Corporation (Allemagne), et à l’université technologique de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
« J’ai volontairement dispersé les sphérules pour que l’on ait l’expertise de personnes qui n’ont aucun intérêt dans le projet, explique Avi Loeb. Pour commencer, on regarde la composition des sphérules. Car en rentrant dans l’atmosphère, certains éléments sont perdus par fractionnement. Selon la présence ou non de ces éléments, on pourra dire si les sphérules viennent de l’espace ou si elles pré-existaient sur Terre. Si elles viennent de l’espace, on regardera alors leur composition isotopique. Chaque système planétaire naît d’un nuage de gaz qui lui est propre, donc selon le rapport isotopique observé, on pourra dire si l’objet provient du Système solaire ou non. Enfin on les datera grâce à leurs radioélements. »
La découverte que les sphérules sont bien d’origine interstellaire, « serait déjà une découverte majeure » assure l’astrophysicien. Qui va alors plus loin : « On essaiera alors d’établir si l’objet est artificiel ou non grâce à sa composition. Si l’on imagine que notre sonde Voyager devient un jour la météorite d’une planète d’une autre système, il est facile de s’imaginer que sa composition différera des météorites rocheuses usuelles. C’est pareil ici. »
Le contexte américain
Technologie extraterrestre, ou météorite tout ce qu’il y a de plus banal ? « Vu la malhonnêteté intellectuelle dont il fait preuve face aux études démontrant que son objet n'est pas interstellaire, j'ai la ferme conviction que rien de ce qu'Avi Loeb déclare n'est digne de confiance. Je ne pense pas que le travail qu'il accomplit sur ce sujet soit de la science », assène Jérémie Vaubaillon, astronome à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides.
Une chose est sure : toute cette histoire est née aux États-Unis, un pays où les discussions sur l’existence d’intelligences aliens sont plus vives que jamais. Le 26 juillet dernier, le lanceur d’alerte David Grush, un ancien des renseignements américains, attestait sous serment face au Congrès que le gouvernement cachait des preuves matérielles de formes de vie aliens. Parmi lesquels des morceaux d’OVNIS et des « produits biologiques non-humains ». Ces informations, David Grush les aurait obtenues « en interviewant plus de 40 témoins ». En revanche, de son propre aveu, il n’a lui-même jamais vu aucun des ces objets que le gouvernement détiendrait.
La tempête médiatique déclenchée par David Grush n’a bien sûr pas échappé à Avi Loeb. Dans son post de blog du 11 juin relatant le premier jour de son expédition, et intitulé « Il est plus facile de rechercher des faits extraterrestres au fond de l'océan que de les obtenir du gouvernement », le chercheur écrit que « si les preuves existent, il n’est pas clair qu’on les voie un jour, car le gouvernement les cache derrière le voile de la sécurité nationale ». Et de s’en servir pour mettre en avant sa propre expédition : « Contrairement à l’histoire racontée par David Grush, toutes [nos] découvertes scientifiques [...] seront accessibles au public. » Encore faudra-t-il alors accepter le jugement de la communauté scientifique.