Si vous voulez entrer dans la salle obscure l’esprit frais, sans vous encombrer de ce qui disent les critiques, faites-nous confiance et allez voir « L’Astronaute » de Nicolas Giraud. Vous aurez tout le temps de découvrir ce texte à votre retour. Sinon, lisez la suite ; promis, on s’efforce de ne rien divulgâcher. Le résumé du scénario tient en deux lignes : « Ingénieur en aéronautique chez ArianeGroup, Jim se consacre depuis des années à un projet secret : construire sa propre fusée et accomplir le premier vol spatial habité en amateur. »
A lire également l'interview de Nicolas Giraud et celle de Mathieu Kassovitz.
Le rêve de Jim : boucler une orbite
Cette histoire a de quoi intriguer, voire inquiéter les amateurs d’espace. En effet, elle semble abracadabrante, d’autant que l’objectif de Jim est de boucler une orbite, et non simplement faire un saut de puce jusqu’à la limite de Kármán, à 100 km façon Jeff Bezos ou Richard Branson. Dans le premier quart d’heure, le doute plane encore sur la direction dans laquelle part le film. Puis on se laisse happer par l’histoire. La lenteur et les hésitations des premières minutes sont volontaires. On comprend plus tard que ce temps est au service de la narration : atteindre un rêve impossible ne se fait pas en un claquement de doigts.
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Le grand tour de force de Nicolas Giraud est de parvenir à rendre plausible sa fiction, grâce aux nombreuses scènes tournées chez ArianeGroup, à Vernon. Ce réalisme participera certainement à embarquer les néophytes dans l’aventure. Il était une intention forte du réalisateur. Et pour l’obtenir, celui-ci a choisi Jean-François Clervoy comme conseiller scientifique. L’astronaute français s’est beaucoup investi, aussi bien en amont lors de l’écriture du scénario qu’au moment du tournage de certaines scènes clés, et ça se voit !
Un film porté aussi par d’excellents seconds rôles
Ce parti-pris ne serait rien s’il n’allait de pair avec de réelles qualités cinématographiques. Et sur ce plan, « L’Astronaute » atteint son but également. Le réalisateur installe une ambiance très marquée, et sait faire passer des sentiments et des émotions. Et tant mieux, car c’est avant tout pour ça que l’on va au cinéma. Le tout est porté par une excellente photographie et une belle ambiance musicale.
On apprécie le soin apporté aux seconds rôles écrits tout en nuances. Dans un bon film, ils n’ont de second que le nom, et c’est le cas ici avec un excellent casting. Avec en particulier Hippolyte Girardot en directeur du centre ArianeGroup de Vernon, Bruno Lochet en passionné de minifusées, la jeune actrice Ayumi Roux en mathématicienne prodige, et Hélène Vincent en grand-mère idéale. Nicolas Giraud incarne le personnage principal . Taiseux et introverti, Jim emprunte sa détermination à Rocky Balboa. Quant à l’ex-astronaute Alexandre Ribbot incarné par Mathieu Kassovitz, il est un miroir dans l'espace de Jacques Mayol dans « Le Grand Bleu ».
Un deuxième long métrage réussi
Tous ces ingrédients font de « L’Astronaute » un film d’auteur au meilleur sens du terme. Avec ce deuxième long métrage, Nicolas Giraud trouve sa grammaire visuelle et invente une façon de filmer immersive et intimiste. Ce n’est pas un huis clos, et pourtant il parvient à en installer l’ambiance. Pour y réussir, il a choisi un contexte pluvieux, froid et hivernal. De surcroit, il filme souvent ceux qui écoutent plutôt que ceux qui parlent. Cette ambiance n’est pas sans rappeler le confinement et l’isolement d’une station spatiale, avec un groupe d’individus embarqués dans une bulle hors du réel : le rêve fou d’un passionné.
Nicolas Giraud livre beaucoup de lui-même dans son personnage principal. « Ma fusée à moi, c’est mon film », a-t-il résumé quand nous l’avons interviewé. Et pour lui, le rôle de mentor joué à l’écran par Mathieu Kassovitz est une métaphore du rôle du réalisateur confirmé Kassovitz vis-à-vis du réalisateur débutant Giraud.
Ce film tout public veut montrer qu’avec du temps et des efforts, on peut tenter d’accomplir ses rêves même après un très gros échec. Un « feel good movie » qui évite pourtant de tomber dans les poncifs du genre. Il en résulte une fable simple et efficace. Hélène Vincent, la grand-mère dans le film, le perçoit comme une version moderne du « Petit Prince ». Et il y a de ça : le film est bien plus subtil et riche que ne laisse penser la simplicité du scénario.
Dernier conseil : allez voir « L’Astronaute » en salle. C’est vraiment un film de cinéma. Et si vous hésitez encore, songez qu’une initiative presque similaire existe dans la réalité, avec le projet Copenhagen Suborbital. Il s’agit d’un groupe de bénévoles dont le but est d’envoyer un homme dans l’espace avec une fusée amateur. Certes sans le mettre en orbite, mais même pour ça, Nicolas Giraud a trouvé une astuce scénaristique. Vraiment réaliste, vous dit-on !
Bande annonce de « L’Astronaute »