Pourrons-nous bientôt détecter les aurores d’une planète extrasolaire ? Voire les utiliser pour étudier ces mondes qui tournent autour d’étoiles lointaines ? De plus en plus d’astronomes en sont convaincus. L’équipe de Rodrigo Luger (université de Washington) a ainsi conçu une méthode utilisant les aurores pour caractériser Proxima b, la planète découverte autour de l’étoile naine rouge Proxima Centauri. Sur Terre, les aurores ne sont souvent que de pâles drapés verdâtres, que l’on imagine mal détectables depuis une autre étoile. Mais sur Proxima b, calculent les chercheurs, elles pourraient être au moins 100 fois plus intenses. Et même 10 000 fois plus en cas de fort orage magnétique. De quoi, peut-être, révéler enfin la planète jusqu’ici noyée dans l’éclat de son étoile...
Chercher des aurores pour voir des exoplanètes
“Une aurore brille dans des longueurs d’onde bien précises, qui sont liées aux espèces chimiques présentes dans l’atmosphère de la planète”, explique Fabrice Mottez, du Laboratoire Univers et théories de l’observatoire de Paris et auteur d’Aurores polaires, la Terre sous le vent du Soleil (Belin, 2017). Sur Terre, c’est la collision des électrons venus du Soleil avec l’oxygène de l’ionosphère qui leur donne leur teinte verte caractéristique. Celle-ci correspond à un rayonnement à 558 nanomètres. Selon Rodriguo Luger, en cas de tempête aurorale, Proxima b pourrait n’être plus, à cette longueur d’onde précise, que 10 000 fois moins lumineuse que son étoile naine rouge. Comme la différence d’éclat pour ce couple dans le visible en général est plutôt de 1 pour 10 millions(elle est de 1 pour 1 milliard pour le couple Terre-Soleil), chausser des lunettes à aurores serait un bon moyen de trouver des exoplanètes !
Sur Terre, la production des aurores implique l’ionosphère, le champ magnétique terrestre, et le vent solaire (voir notre dossier de novembre 2017, C&E n°556). Sur Proxima b, sous réserve qu’elle possède une composition atmosphérique comparable à la Terre et un champ magnétique global, les aurores pourraient être extraordinaires. D’une part parce que la planète est très proche de son étoile — 20 fois plus proche que la Terre du Soleil —, mais aussi parce que celle-ci est active, et qu’elle possède un champ magnétique 100 fois plus puissant que le Soleil.
Au-delà de la beauté du spectacle — invisible à moins d’être sur place ! —, c’est pour des raisons scientifiques que Rodrigo Luger et son équipe s’intéressent aux aurores de Proxima b :
Leur détection donnerait une confirmation indépendante de l’existence de la planète, contraindrait la présence et la composition de son atmosphère, et permettrait de déterminer sa rotation, son inclinaison et son excentricité.
Mais, après tout, la Terre est une planète bien spéciale, dotée d’une atmosphère d’oxygène qui est un héritage du vivant. D’où vient la confiance des chercheurs dans l’existence d’aurores sur des planètes extrasolaires ? La réponse se trouve en partie dans le Système solaire... “Mercure n’a pas d’atmosphère, et pourtant la sonde Messenger y a furtivement observé des aurores”, révèle Fabrice Mottez. Sur la petite planète rocheuse, dotée d’un faible champ magnétique global, le mécanisme auroral est bien exotique... Lorsque les particules solaires parviennent à frapper le sol (cela arrive parfois, malgré son bouclier magnétique), elles en arrachent des atomes qui forment alors une atmosphère transitoire. Bombardé de particules, cet écran éphémère s’illumine dans les couleurs typiques de l’oxygène, du sodium et du calcium qui composent la surface.
Même sur la planète Mars !
Mars aussi exhibe des aurores. Et c’est tout aussi étonnant parce que, si elle est bien entourée d’une atmosphère, elle ne possède pas de champ magnétique global ! “Ce sont des Français qui ont découvert ces aurores en 2005 grâce à la sonde Mars Express”, raconte Jean-Claude Gérard, de l’université de Liège. À cette époque, personne n’aurait parié un centime sur des aurores martiennes. Et pourtant... “Si Mars ne possède pas actuellement de champ magnétique global, certaines zones de sa croûte contiennent des rémanents d’une magnétisation ancienne. Ce champ magnétique fossile est présent essentiellement dans l’hémisphère Sud de la planète, là où s’est concentré son volcanisme. Cette correspondance s’explique très bien : sur Terre aussi, certaines laves volcaniques ont conservé l’empreinte du champ magnétique tel qu’il était quand elles se sont solidifiées.”
La cartographie des aurores martiennes a montré qu’elles se trouvaient souvent à l’intersection de régions magnétiques voisines. “Comme sur Terre, les particules sont accélérées dans un entonnoir”, poursuit Jean-Claude Gérard. Si nous nous trouvions sous l’un d’eux, quelque part entre l’équateur et les hautes latitudes de l’hémisphère Sud de la planète rouge, nous pourrions sans doute voir une aurore à l’œil nu, “probablement violette, à cause de l’émission de l’ion CO2+, et pourvu qu’il fasse bien nuit”, précise le chercheur.
Plus généralement, l’ionosphère de Mars s’illumine parfois toute entière sous l’effet d’un bombardement massif de particules solaires. C’est arrivé le 13 septembre 2017. Pendant plusieurs heures, la sonde Maven a vu la planète briller dans l’ultraviolet, tandis qu’au sol le rover Curiosity enregistrait un doublement des particules électrisées venues du Soleil. Deux jours plus tôt, notre étoile avait connu une éjection de masse coronale — un sursaut d’humeur pendant lequel la densité du vent solaire est généralement multipliée par 10 et sa vitesse par 3.
Sur Jupiter, des aurores dues à son satellite Io
Mais les aurores les plus spectaculaires du Système solaire, on les trouve sur Jupiter. “Elles sont 100 fois plus intenses que sur Terre, et elles sont permanentes”, insiste Fabrice Mottez. Pourtant, la planète géante est bien loin du Soleil. Difficile donc d’invoquer le vent solaire comme source d’énergie ! De fait, c’est un mécanisme encore différent qui est à l’œuvre sur Jupiter. “Les particules responsables des aurores viennent principalement de son satellite volcanique Io. Quant à l’énergie qui les accélère, elle est issue de la rotation rapide de la planète et de son puissant champ magnétique”, explique Laurent Lamy, de l’observatoire de Paris.
Par ses éruptions incessantes, Io crée un tore de particules électrisées qui alimente l’ensemble de la magnétosphère de Jupiter au rythme d’une tonne par seconde. Lorsque celles-ci sont accélérées et plongent vers les pôles magnétiques joviens, elles font briller l’ionosphère dans l’ultraviolet et dans l’infrarouge, à des fréquences caractéristiques de l’hydrogène. Mieux : Io étant plongé dans le champ magnétique de Jupiter, il y est connecté par un vaste circuit électrique où sont aussi accélérées des particules. Il existe ainsi sur Jupiter une aurore permanente qui est l’empreinte de Io...
Cet éclat particulier de Jupiter, d’abord dû à sa rotation rapide et son puissant champ magnétique, a incité certains astronomes à chercher des aurores sur d’autres planètes géantes en dehors du Système solaire. Les “Jupiter chaudes”, qui tournent sur elles-mêmes en quelques jours à peine, et 100 fois plus proches de leur étoile que Jupiter du Soleil, ne cumulent-elles pas les atouts pour produire de fantastiques aurores ? Les calculs comme les observations montrent en fait que ces aurores sont noyées dans la lumière de l’étoile, réfléchie par la planète. Mais peu importe : ces géantes sont tout de même les meilleurs candidates pour détecter des “exo-aurores”... en ondes radio ! “Une aurore peut s’observer dans plusieurs gammes de fréquences. Jupiter brille dans l’ultraviolet, par fluorescence de l’hydrogène, mais aussi dans l’infrarouge grâce aux ions H3+ de l’ionosphère. À plus haute altitude, elle brille en rayons X. Et les électrons accélérés dans son champ magnétique en font enfin un puissant émetteur d’ondes radio”, décrit Laurent Lamy. La sonde Juno, actuellement autour de Jupiter, observe trois de ces quatre types de rayonnements. Connue depuis 1964, l’observation décamétrique (à grande longueur d’onde radio) de Jupiter est, quant à elle, mesurée quasi quotidiennement par la station de radioastronomie de Nançay depuis quarante ans.
La combinaison gagnante pour “voir” une aurore sur une autre planète ne consisterait-elle donc pas finalement à pointer un radiotélescope vers une Jupiter chaude ? Probablement, car si l’on en croit la théorie, ces planètes doivent émettre 10 000 à 1 million de fois plus de rayonnements basse fréquence que notre géante. Au point de pouvoir rivaliser dans le ciel avec leur propre étoile ! Hélas, ces exoplanètes demeurent bien plus lointaines que Jupiter... “La recherche n’a rien donné pour le moment, mais dans les prochaines années des réseaux d’antennes comme Nenufar à Nançay, ou un peu plus tard le Square Kilometre Array, en Afrique du Sud et en Australie, devraient être suffisamment sensibles pour détecter des exoplanètes grâce à leurs aurores radio”, reprend Laurent Lamy. Dans le domaine optique cher à Rodrigo Luger, il faudra sans doute attendre l’avènement des télescopes au sol de 30 m, voire du géant de 8 à 16 m que la Nasa lancera peut-être après le télescope spatial JWST. À moins que la physique des aurores soit encore plus surprenante qu’on le pense...
Cet article fait partie de notre dossier “Voyages au pays des aurores”, dans le Ciel & Espace n°556, novembre 2017.
Également au sommaire de ce dossier :
- le mécanisme des aurores boréales
- où les observer avec la sélection des meilleures destinations
- les mythes et légendes qui les entourent…
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