La Carène, Anneau austral, Quintette de Stephan : le JWST dévoile ses premiers joyaux

La région NGC 3324, dans la nébuleuse de la Carène. © Nasa/ESA/CSA/STScI
Après la révélation en avant-première par le président Joe Biden de la toute première image du Webb, les cinq premiers clichés du nouveau télescope spatial ont enfin été dévoilés. Ils sont à la hauteur des attentes.

« On l’a fait ! » « Une nouvelle ère de l’astronomie commence », « Les images sont renversantes » « C’est une journée historique ! » De l’administrateur de la Nasa Bill Nelson au prix Nobel de physique John Mather, en passant par le directeur scientifique du JWST, l’enthousiasme est palpable lors de la révélation des toutes premières images du Webb, ce 12 juillet 2022 à 16h30 heure de Paris, depuis le centre Goddard de la Nasa (Maryland).

Les cibles dévoilées ont été sélectionnées par la Nasa, mais aussi ses partenaires, les agences spatiales européenne et canadienne. Elles marquent le début officiel des opérations scientifiques du James Webb qui doivent durer dix, voire vingt ans. Les voici dans l’ordre de leur présentation.

SMACS 0723, le premier champ profond du JWST

Déjà dévoilée le 11 juillet 2022 par Joe Biden et dénommée « First Deep Field du Webb », cette image infrarouge est la plus profonde et la plus nette de l’Univers lointain à ce jour. Elle fourmille de milliers de galaxies, et pourtant, elle couvre un morceau de ciel dont la taille correspond à celle d’un grain de sable tenu à bout de bras.

Le premier champ profond du télescope Webb (images MIRI et NIRCam côte à côte). © ESA/ESA/STSCI
Le premier champ profond du télescope Webb (images MIRI et NIRCam côte à côte). © ESA/ESA/STSCI

Au tout premier plan, les étoiles diffractées font partie de notre galaxie. Elles sont relativement proches. L’amas de galaxies spirales plutôt blanchâtres est, lui, situé à 4,5 milliards d’années-lumière. Sa masse colossale déforme l’espace-temps et, ce faisant, fait office de télescope naturel : il concentre et déforme la lumière des galaxies bien plus lointaines, situées elles à 13,1 milliards d’années-lumière. Ces galaxies antédiluviennes apparaissent déformées, sous la forme de petits arcs orangés sur l’image.

« Ce qui me frappe, c’est le niveau de détails. Chaque petit point sur cette image, c’est une galaxie ! s’est enthousiasmé Miguel Montargès, lors du twitch spécial sur notre chaine Ciel&espace. Et tout cela a été obtenu en seulement 12 h de temps de pose. Pour produire le champ profond d’Hubble, jusqu’à présent la référence en matière de champ profond de galaxies, il a fallu 10 jours, et l’image est bien moins profonde et détaillée que celle-ci ! Imaginez ce que ça va donner lorsque le Webb va pointer ce champ pendant plusieurs jours ! »

« Ce qui me fascine aussi, c’est qu’avec cette image, on embrasse tout l’Univers : notre galaxie, toute proche ; l’Univers moyen, vers 4,5 milliards d’années-lumière ; et l’Univers très lointain, très près du big bang, dans lequel on aperçoit les premières structures cosmiques ! » a ajouté l’astronome.

L’atmosphère de l’exoplanète WASP 96b analysée en détail

La deuxième « prise » du télescope James Webb n’est pas une image. C’est un spectre de l’atmosphère d’une exoplanète, c’est-à-dire la décomposition de sa lumière, qui permet d’obtenir des informations sur sa composition.

Le JWST  a capté la signature distincte de l'eau, ainsi que des preuves de nuages et de brume, dans l'atmosphère entourant WASP96b, une planète géante gazeuse chaude en orbite autour d'une étoile lointaine semblable au Soleil. Cette observation, qui révèle la présence de molécules de gaz spécifiques basées sur de minuscules diminutions de la luminosité de couleurs précises de la lumière, est la plus détaillée du genre à ce jour. Elle démontre la capacité sans précédent du Webb à analyser des atmosphères à des centaines d'années-lumière. © Nasa/ESA/ASC/STScI
Le JWST a capté la signature distincte de l'eau dans l'atmosphère de WASP96b, une planète géante en orbite autour d’une étoile lointaine semblable au Soleil. Elle démontre la capacité sans précédent du Webb à analyser des atmosphères à des centaines d'années-lumière. © Nasa/ESA/ASC/STScI

Le Webb a ainsi capté la signature distincte de la molécule d’eau dans l’atmosphère de WASP 96b, une exoplanète dont la masse est la moitié de celle de Jupiter et qui tourne en seulement 3,5 jours autour de son étoile.

Des molécules ont déjà été détectées dans l’atmosphère d’exoplanètes par le télescope spatial Hubble en 2013, mais cette nouvelle mesure est la plus fine de ce type jamais réalisée. Avec ce spectre, on est cependant loin de l’une des promesses fortes du Webb: caractériser l’atmosphère de super-Terre, voire de planètes de la taille de la Terre, et potentiellement habitables.

La nébuleuse de l’Anneau austral magnifiée

La nébuleuse NGC 3132, dite de l’Anneau austral, est située à 2500 années-lumière de nous. Cette nébuleuse a été sculptée par l’une des deux étoiles centrales. Depuis des milliers d’années, celle-ci envoie des anneaux de gaz et de poussière dans toutes les directions.

La nébuleuse  planétaire NGC3132, aussi appelée l’Anneau austral, vue par le JWST. © Nasa, ESA, CSA, and STScI
La nébuleuse  planétaire NGC3132, aussi appelée l’Anneau austral, vue par le JWST. © Nasa, ESA, CSA, and STScI

Le Webb la révèle avec une finesse telle que de nombreux détails jusqu’ici inconnus apparaissent (à comparer avec l’image de Hubble). « Sur l’image de Nircam, on distingue des structures complètement inédites, commente Miguel Montargès: des voiles de poussières, des arcs de matière, des tentacules émis par les étoiles en formation… À gauche de l’image, on voit même des galaxies d’arrière-plan : l’une vue par la tranche, qui forme un genre de trait, et une galaxie spirale légèrement en dessous à droite. »

NGC 3132 a également été photographié par l’instrument MIRI, qui opère dans l’infrarouge moyen. Si elle est un peu moins résolue, cette image montre clairement que l’étoile centrale est en fait un couple stellaire.

Deux visions de NGC3132 offerte par le JWST. À gauche : une image de l'instrument NIRCam qui voit cette nébuleuse dans l’infrarouge proche. À droite : la même nébuleuse vue par MIRI dans l'infrarouge moyen. Les étoiles attirent plus d'attention dans l'image NIRCam, tandis que la poussière incandescente joue le rôle principal dans l'image MIRI. Dans des milliers d'années, ces couches gazeuses délicates se dissiperont dans l'espace. © Nasa/ESA/ASC/STScI
Deux visions de NGC3132 offerte par le JWST. À gauche : Nircam montre la nébuleuse planétaire dans l’infrarouge proche. À droite : la même nébuleuse vue par MIRI dans l'infrarouge moyen. Les étoiles attirent plus l’attention dans l'image Nircam, tandis que la poussière incandescente domine dans l'image MIRI. Dans des milliers d'années, ces draperies gazeuses se dissiperont dans l’espace. © Nasa/ESA/ASC/STScI

« J’aimerais savoir quel est exactement le code couleur utilisé par les équipes du JWST pour traduire ces photos, s’est interrogé Franck Selsis lors de notre Twitch au sujet de ces nouvelles images signées Webb. Il s’agit de longueurs d’onde infrarouges, donc non perceptibles par l’œil humain. Il me semble qu’ils adoptent le rouge quand il s’agit de l’infrarouge lointain, et le bleu-violet, quand c’est de l’infrarouge proche (c’est-à-dire plus proche du visible).

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Une foule de détails sur le Quintette de Sephan

Le Quintette de Stephan est un groupement visuel de cinq galaxies. Quatre d’entre elles sont en interaction : elles « dansent » ensemble et s’échangent du gaz. Cette vue est une énorme mosaïque, la plus grande image du télescope Webb à ce jour. Elle couvre environ un cinquième du diamètre de la Pleine Lune.

Le Quintette de Stephan est un regroupement apparent de cinq galaxies. Cette énorme mosaïque est la plus grande image de Webb à ce jour, couvrant environ un cinquième du diamètre de la Lune. © NASA, ESA, CSA, and STScI
Le Quintette de Stephan est un regroupement apparent de cinq galaxies (quatre sont liées, la cinquième est à l’avant-plan). Cette énorme mosaïque est la plus grande image du Webb à ce jour, couvrant environ un cinquième du diamètre de la Lune. © Nasa, ESA, CSA, and STScI

À nouveau, l’œil infrarouge du Webb et sa grande résolution spatiale révèlent des détails inédits dans ce groupe de galaxies (à comparer là aussi avec Hubble). On découvre par exemple au cœur de ces galaxies des amas de millions de jeunes étoiles, de toutes nouvelles régions de formation stellaire. Entre les « danseuses », on voit aussi de grandes queues de marées, c’est-à dire-des structures étirées par les interactions gravitationnelles à l’œuvre entre les galaxies. « L’image de Nircam est superbe, mais celle de l’instrument MIRI (ci-dessous) est encore plus dingue ! s’enthousiasment Franck Selsis et Miguel Montargès. Elles révèlent la structure de chacune des galaxies sous un jour totalement nouveau. »

Here’s Stephan’s Quintet as taken by Webb’s MIRI instrument. In the mid-infrared, Webb pierces through dust, giving new insight into how interactions like these may have driven galaxy evolution in the early universe.
Le Quintette de Stephan vu avec l’instrument Miri. © NASA, ESA, CSA, and STScI

Les flots évanescents de la nébuleuse de la Carène

« On voit des centaines de nouvelles étoiles en formation que l’on n’avait jamais vues auparavant, des futures étoiles avec leurs futures planètes… C’est dans une région telle que celle-ci que notre Soleil et nos planètes sont nées, et on vient d’en obtenir une vue d’une résolution sans précédent. » Les scientifiques de la Nasa ont gardé le meilleur pour la fin : la nébuleuse de la Carène, la plus vaste de zone de formation d’étoiles de la Voie lactée. Elle devient sous le regard infrarouge du Webb un paysage extrêmement précis dans lequel le gaz est creusé par l’intense rayonnement ultraviolet des étoiles en train de naître, formant ainsi un ensemble de montagnes et de vallées de poussières.

Ce paysage de “montagnes” et de “vallées” parsemées d’astres scintillants est le bord d'une jeune région de formation stellaire appelée NGC 3324, dans la nébuleuse de la Carène. Vue en infrarouge par le télescope spatial James Webb, cette image révèle pour la première fois des zones de naissance d'étoiles auparavant invisibles. Ces “Falaises cosmisques” sont le bord de la cavité gazeuse géante dans NGC 3324, et les "pics" les plus hauts de cette image mesurent environ 7 années-lumière de haut. La zone caverneuse a été creusée dans la nébuleuse par le rayonnement ultraviolet intense et les vents stellaires des jeunes étoiles extrêmement massives et chaudes situées au centre de la bulle, au-dessus de la zone montrée sur cette image.
Ce paysage de “montagnes” et de “vallées” parsemées d’astres scintillants est le bord d’une jeune région de formation stellaire appelée NGC 3324, dans la nébuleuse de la Carène. En la sondant dans l’infrarouge, le télescope Webb révèle des zones de naissance d'étoiles auparavant invisibles. Ces “Falaises cosmiques” sont le bord de la cavité gazeuse géante dans NGC 3324, et les “pics” les plus hauts de cette image mesurent environ 7 années-lumière de haut. © Nasa, ESA, CSA, and STScI
Une image composite des "falaises cosmiques" dans la nébuleuse de la Carène, créée avec les instruments NIRCam et MIRI du télescope Webb. Des nuages brun rosé de gaz et de poussière dominent le premier plan de l'image, scintillant de jeunes étoiles. Derrière, le ciel apparaît bleu marine, avec des étoiles brillantes et des galaxies. © Nasa/ESA/CSA/STScI
Une image composite des "falaises cosmiques" dans la nébuleuse de la Carène, créée avec les instruments Nircam et Miri du Webb. Des nuages brun rosé de gaz et de poussière dominent le premier plan de l'image. Derrière, le ciel apparaît bleu marine, avec des étoiles brillantes et des galaxies. © Nasa/ESA/CSA/STScI

« Les performances du Webb sont conformes, voire supérieure à ce à quoi nous nous attendions, a conclu le responsable scientifique de la mission. À tous les terriens, ce télescope est votre télescope. Il va répondre aux plus grandes questions de la science. Et ce n’est que le début »

 

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