Tilman Spohn, le responsable scientifique de l’instrument HP3, à l’agence spatiale allemande, n’ose pas encore crier victoire. Mais il semble probable que lui et les équipes de la Nasa ont enfin réussi à faire pénétrer cet outil de forage dans le sol martien. Pendant trois mois, aux activités ralenties par la crise sanitaire liée au coronavirus, Tilman Spohn n’a pas donné de nouvelles en provenance de Mars. Il le reconnaît lui-même dans un mail adressé aux journalistes, « principalement parce que les opérations de pression sur l’arrière de la taupe étaient risquées et ont progressé lentement, étape par étape ». Et il ajoute, avec honnêteté : « J’étais plus enclin à rapporter un succès plutôt qu’un échec. »
Par son message adressé aux rédactions le 3 juin 2020, il indique clairement que cette éventualité est écartée, au moins pour un temps : « Nous avons de bonnes nouvelles ! La taupe est dans le sol et va commencer à tester si elle progresser par ses propres moyens samedi prochain. » Autrement dit, l’instrument, qui ressemble à un burin long de 35 cm, a été entièrement enfoncé dans le sol martien grâce à une pression de la pelle mécanique de la sonde Insight. Et maintenant, elle va tenter de continuer à s’enfoncer uniquement grâce son propre mécanisme qui fait intervenir une sorte de marteau interne.
Rebondissements multiples
La taupe d’Insight a connu une longue période de difficultés depuis son déploiement à la surface de Mars, le 28 février 2019. Chaque fois qu’elle était parvenue à s’enfoncer, elle avait ensuite rebondi et était ressortie. Une première stratégie de sauvetage, consistant à appuyer la pelle d’Insight sur le flanc de la taupe pour lui procurer de la friction, n’avait pas fonctionné malgré un début encourageant.
Pas de roche dure sur le chemin
Avec le succès de la technique de pression de la pelle, Tilman Spohn a pu écarter définitivement une explication aux rebonds de son instrument, à savoir qu’il aurait rencontré une roche dure à quelques centimètres sous la surface : « Clairement, la taupe n’a pas été stoppée par une pierre, comme cela avait été suggéré ». Les rebonds étaient bien dus à une propriété inattendue du sol sablonneux de Mars qui ne permettait pas à l’engin d’avoir une friction suffisante sur ses parois. Ainsi, il n’était pas maintenu en terre et effectuait des mouvements de recul après certains coups de marteau.
Des manœuvres de précision
Le chercheur précise comment se sont déroulés les trois mois de pression avec la pelle. Celle-ci a fourni des efforts successifs sur des longueurs de 1,5 cm. Pour des raisons techniques, à chaque pression, il fallait stopper et recommencer, ce qui explique la lenteur du processus. Et après chaque manœuvre de placement de la pelle, qui devait être exécutée avec une précision de l’ordre de quelques millimètres, il a fallu évaluer la situation et déterminer si les câbles d’alimentation de la taupe, situés à l’arrière, ne risquaient pas d’être endommagés. Presque par chance, la taupe se trouvait enfoncée avec une inclinaison, ce qui a permis à la pelle de n’appuyer que sur le bord du compartiment arrière, sans toucher les câbles… Une fois la pelle en place, un nombre de coups de marteau étaient programmés et la situation à nouveau analysée.
Tout cela a commencé le 11 mars 2020, à 7 cm au-dessus de la surface. Cinq autres cycles de martelage se sont succédés au cours des onze semaines suivantes. Et le 30 mai, la taupe était complètement enfouie dans le sol martien, recouverte par la pelle qui semble posée en surface.
La suite des opérations
« La prochaine étape sera un nouveau martelage avec la pelle qui pousse sur l’arrière, indique Tilman Spohn sur le blog qu’il tient à jour sur ce sauvetage. Durant ce martelage, nous escomptons que la pelle soit stoppée par le régolite (si elle n’a pas été déjà stoppée à la fin du martelage du sol 536) et que nous pourrons voir si la taupe est capable de creuser par elle-même. Nous appelons cela le test de la « taupe libre ». » Ensuite ? À mesure que l’instrument s’enfoncera, la friction sur ses flancs augmentera et s’il atteint une profondeur de 20 cm, il ne sera plus nécessaire de tasser le sol avec la pelle au-dessus de lui. La taupe pourra enfin s’enfoncer comme prévu pour mesurer la chaleur qui s’échappe du sol martien.
Mais Tilman Spohn reste prudent. Il envisage une nouvelle difficulté : « Que se passerait-il si la taupe n’est pas assez profonde pour avoir une friction suffisante ? Alors, nous avons deux options : remplir le puits pour procurer plus de friction et pousser sur le régolite ou utiliser la pelle pour pousser à nouveau sur l’arrière. »
Les prochains jours seront déterminants.