L’expérience XENON1T n’a pas encore découvert les particules de matière noire qu’elle traque depuis des années, mais elle vient peut-être de faire un grand pas dans cette direction. L’équipe scientifique de ce gros détecteur niché au cœur du massif du Gran Sasso, sous 1500 m de roches, annonce en effet ce 17 juin 2020 avoir détecté un curieux excès d’événements dans ses données. L’indice, peut-être, qu’un type de matière noire baptisée axion existe bel et bien…
Trier le bon grain...
En physique de particules, un événement est une interaction entre particules et c’est précisément ce que cherche XENON1T. Constituée d’une cuve de 3,2 tonnes de xénon liquide, bardée de détecteurs, l’expérience est conçue pour repérer la brève émission de lumière provoquée par l’interaction entre d’hypothétiques particules de matière noire baptisée wimps et les atomes de xénon. À ce jour, après deux années de prise de données entre 2016 et 2018, l’expérience n’a rien détecté sur ce front : si les wimps existent, ce sont des particules qui interagissent vraiment très très peu avec la matière ordinaire. Mais son exceptionnelle sensibilité lui permet aussi de détecter de nombreuses autres interactions. Autant d’événements qu’il faut savoir trier, car ils ne concernent pas la matière noire, et qui habituellement s’expliquent par des phénomènes bien connus. Sauf cette fois...
Les chercheurs de XENON1T ont mis au jour un excès d’événements (285 au lieu de 232 attendus) qui ne s’explique pas par la banale collision d’un neutron ou d’un électron avec le xénon. Selon eux, il impliquerait soit un flux d’axions venus du Soleil, soit du tritium (hydrogène lourd) présent dans la cuve, soit une propriété inattendue des neutrinos.
2 chances sur 10 000 pour le hasard
Du point de vue de la stricte statistique, l’hypothèse d’un flux d’axions venus du Soleil est la plus probable (dans ce cadre, il n’y a que 2 chances sur 10 000 pour que l’excès soit dû à une fluctuation au hasard). C’est aussi la plus excitante ! Le profil en énergie de l’excès observé est celui que l’on attend pour des axions produits par le Soleil. Ces particules sont hypothétiques – elles ont été imaginées pour rendre compte d’un problème spécifique à la physique des particules – mais même si les axions solaires ne peuvent pas être la matière noire tant recherchée, leur découverte ouvrirait tout un champ nouveau à la physique de particules. Surtout, cela rendrait plausible l’existence d’axions produits dans l’Univers jeune. Une hypothèse de plus en plus souvent évoquée pour expliquer la nature de la matière noire, à mesure que celle des wimps, faute de résultat, s’affaiblit.
Le tritium et le neutrino
Il existe cependant deux autres hypothèses, à peine moins probables sur le front de la statistique des événements, mais peut-être plus réalistes. La première concerne le tritium et elle est, il faut bien le dire, la moins exaltante. Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, qui se désintègre spontanément en émettant un électron à la même énergie que ce que l’équipe de Xénon observe. Malgré le soin apporté à la purification du liquide de xénon dans la cuve, il pourrait y subsister du tritium dans XENON1T. En fait, quelques atomes de tritium pour 1025 atomes de xénon suffiraient à expliquer l’excès observé.
La seconde explication met en cause les neutrinos. Ces particules sont connues depuis fort longtemps – ils nous traversent par milliards chaque seconde – mais une de leur propriété (leur moment magnétique) pourrait s’écarter des prédictions du modèle standard de la physique de particules. Cette piste ouvre une boîte de Pandore : si le modèle standard échoue, c’est sans doute qu’il faut invoquer de nouveaux phénomènes physiques !
Comme souvent en science, on ne pourra y voir plus clair qu’avec des données plus précises… Dans sa quête de la matière noire, l’équipe de XENON1T avait déjà décidé de bâtir un détecteur plus gros, XENONnT. Avec un volume de liquide trois fois plus important, l’expérience en cours de construction sera plus sensible. Elle devrait permettre de trancher d’ici 2023.