Le journal de bord de Thomas Pesquet (15)

Exercice incendie dans la réplique de l’ISS, à Houston. © M. Sowa/Nasa
L'astronaute Thomas Pesquet deviendra en novembre 2016 le dixième Français à voler dans l'espace. Chaque mois, il raconte les coulisses de son entraînement aux lecteurs de « Ciel & Espace ». Découvrez le quotidien de celui qui s'apprête à vivre six mois sur orbite à bord de la station spatiale internationale (ISS).

Épisode 15 : Alerte rouge dans l’ISS

« Feu, dépressurisation, fuite toxique à bord : depuis deux semaines, je m'entraîne avec mes collègues astronautes Peggy Whitson et Oleg Novitsky sur les procédures à suivre en cas de pépin sur l'ISS. Nous sommes au Johnson Space Center, à Houston, où il y a un bâtiment avec des maquettes grandeur nature des modules de la station.

La station internationale est truffée d'électronique, bardée de capteurs qui nous indiquent constamment son état de santé. Pour piloter tout ça, il y a plus d'une centaine d'ordinateurs portables à bord. Nous avons plusieurs niveaux d'alerte sur nos écrans.

« Advisory », en vert, est une notification de problème, ni urgent, ni vital. « Caution », en jaune, annonce une panne qu'il faut traiter. Là encore il n'y a pas d'urgence et la plupart de ces pannes là peuvent être réparées à distance, depuis le centre de contrôle sur Terre. « Warning », en rouge, nous impose de réagir. Il peut s'agir d'une perte d'orientation de l'antenne de communication, ou un dépointage des panneaux solaires qui risquerait de mettre les batteries à plat en quelques heures. « Emergency » n'a même pas couleur. Là, c'est une urgence. La santé voire la vie de l'équipage est en jeu.

Risque d’explosion des circuits d’eau

Avec Peggy et Oleg, nous avons beaucoup travaillé sur les trois principaux cas d'urgence. D'abord, il y a le cas où l'atmosphère de la station deviendrait toxique. Notre principal ennemi, c'est l'ammoniac. Il n'est pas présent à l'intérieur de la station spatiale, mais est utilisé à très haute pression dans son système de contrôle thermique. Si pour une raison ou une autre une de ses canalisations venait à fuir, il pourrait entrer dans le circuit d'eau, avec lequel il est en contact, et le faire exploser. L'ammoniac pénétrerait alors à l'intérieur des modules, sous forme de gaz mortel.

Pour réagir à cela, nous apprenons par cœur certaines procédures. En gros : mettre un masque à oxygène (la première chose que fait un astronaute lorsqu'il arrive sur l'ISS, c'est une visite des lieux — eux aussi appris par cœur — où se trouvent les équipements de secours), prévenir les autres membres d'équipage et se regrouper loin de la fuite, avec un accès aux vaisseaux Soyouz pour évacuer si nécessaire. Bien sûr, dans ces cas-là, la station coupe automatiquement tous ses systèmes de ventilation pour ne pas propager le gaz toxique !

Révision des procédures en cas de feu dans l'ISS, avec l'astronaute Peggy Whitson. Crédit : Mark Sowa
Je révise les procédures en cas de feu dans l'ISS, avec l'astronaute Peggy Whitson. © M. Sowa

Ces systèmes sont aussi coupés en cas de feu, un autre grand ennemi. Dans l'ISS, tous les équipements sont ignifugés, et toutes les installations électriques sont protégées par plusieurs étages de fusibles. Mais il y a déjà eu un feu dans une station spatiale. C'était sur Mir, en 1997, à cause d'une cartouche d'oxygène...

En apesanteur, une flamme est ronde

En cas de feu, nous commençons par couper l'alimentation électrique. Deux astronautes vont ensuite au contact, avec masque et extincteur. Il faut savoir qu'en apesanteur, une flamme est une boule ronde. Eh oui : si le gaz chaud monte, sur Terre, c'est à cause de la gravité ! Par ailleurs, utiliser un extincteur nécessite de s'accrocher quelque part. Ceux qui ont vu le film Gravity savent de quoi je parle : en apesanteur, le gaz éjecté d'un extincteur peut devenir une véritable torpille (d'ailleurs, dans l'ISS, les extincteurs sont soigneusement rangés dans des armoires).

Enfin, il y a le cas de la dépressurisation. Si la station spatiale fuit, les astronautes à bord s'en rendront compte sans doute avant les ordinateurs. Nos oreilles feront « pop » ! Là encore, la procédure consiste à d'abord se rassembler près de nos canots de sauvetage, les Soyouz. Ensuite, à l'aide d'un simple manomètre et d'une montre, nous mesurons la vitesse de la perte de pression, et donc le temps qu'il nous reste pour réparer.

Si, arrivé à 490 mm de mercure [soit 650 mbar, la pression qui règne à environ 4000 m, NDLR], nous n'avons pas stoppé la dépressurisation, nous devons évacuer la station. Car en deçà de cette valeur, certains équipements peuvent tomber en panne, notamment les crochets qui retiennent les Soyouz. Nous pourrions rester bloqués là-haut. Une chose est sûre : l'option qui consiste à enfiler nos scaphandres et quitter la station, assez prisée des films hollywoodiens, est vraiment de la science-fiction ! »

 

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