C’est le fruit de plus de dix années de travail. Une équipe de chercheurs de l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS), du laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM) et de l’Agence spatiale européenne vient de publier la carte la plus complète à ce jour des roches qui, sur Mars, ont été formées en présence d’eau.
Avec une résolution de 200 m par pixel (voire 15 m/pixel sur certaines zones), cette cartographie multiplie par plusieurs centaines le nombre de sites connus où l’on trouve de telles roches. Elle a été réalisée grâce aux spectromètres infrarouges Omega de la sonde européenne Mars Express et Crism de la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter.
« Lorsque nous nous sommes lancés dans ce travail, nous avions plusieurs objectifs, se souvient John Carter (LAM & IAS). Produire une carte homogène et statistiquement exploitable sur les minéraux hydratés de Mars ; permettre une comparaison avec les cartes géologiques ; mais aussi identifier de nouvelles zones d’intérêt pour les prochains rovers, voire pour un débarquement humain sur Mars. »
La carte montre à la fois la répartition de roches produites en présence d’eau comme les carbonates — qui, sur Mars, se forment essentiellement lors de processus hydrothermaux — et celle de roches qui, non seulement ont été produites en présence d’eau, mais surtout l’ont incorporée en elles (soit sous sa forme habituelle H2O, soit sous la forme du radical OH). Argiles, sulfates ou silice hydratée, ces « minéraux hydratés » sont intéressants à plus d’un titre.
Des cibles de choix pour chercher d’anciennes traces de vie
« Les zones riches en argile sont des cibles de choix pour la recherche d’anciennes traces de vie » explique John Carter. Elles témoignent de la présence d’eau liquide sur de longues durées, et on les trouve souvent sur les terrains les plus anciens de la planète. Or, justement, si Mars a un jour été habitable, ça a probablement été il y a 4 milliards d’années ou plus. Ces argiles conservent-elles des empreintes du vivant ? Oxia Planum, site prévu d’atterrissage du futur rover européen Rosalind Franklin de la mission ExoMars (suspendue suite à la guerre en Ukraine), a justement été choisi sur ce critère.
« Les affleurements de minéraux hydratés intéressent aussi la Nasa dans la perspective de futures missions habitées. » On le sait, survivre sur la planète rouge nécessitera d’exploiter ses ressources en eau. « Le plus simple est d’utiliser la glace d’eau. Mais, sur Mars, on la trouve près des pôles, dans des zones plus difficiles et surtout scientifiquement moins intéressantes. Les minéraux hydratés, eux, sont intéressants à trois titres : pour eux-mêmes, comme matériau de construction (on trouve du gypse, c’est-à-dire du plâtre, un peu partout sur Mars) et aussi comme source potentielle d’eau pour un équipage humain. »
Ces roches recèlent donc beaucoup d’eau ? « En proportion, oui, de quelques pour cent à quelques dizaines de pour cent de leur masse », répond le planétologue. Et c’est précisément pourquoi il s’y intéresse…
Mars a bu toute son eau !
« La question à un million de dollars, actuellement, c’est de savoir combien d’eau liquide Mars possédait à ses débuts. » Aujourd’hui, sur la planète rouge, le réservoir le plus évident est la glace d’eau des calottes polaires. La calotte Nord s’étend sur 1200 km de diamètre sur 1 à 3 km d’épaisseur, ce qui représente à peu près la moitié des glaciers du Groenland en volume. L’eau est aussi présente en petites quantités sous forme de vapeur dans l’atmosphère. « Mon hypothèse est que le reste — l’essentiel — est dans les roches sous forme de minéraux hydratés. Mars a bu toute son eau ! Je pense qu’il y en avait certainement à la surface il y a 4 milliards d’années, mais que depuis elle a été épongée par ses roches. »
La cartographie des minéraux hydratés sur la totalité de la surface de la planète rouge est une avancée importante pour estimer combien d’eau est piégée sous cette forme. Pourtant, « nous n’en sommes pas encore à pouvoir donner un chiffre fiable », prévient le chercheur. Tout simplement parce que « nous ne savons pas sur quelle profondeur ces minéraux sont présents. » Sur Terre, on les retrouve jusqu’à quelques kilomètres. Si c’est le cas sur Mars aussi, alors des quantités d’eau énormes sont figées en sous-sol — « de quoi recouvrir toute la planète d’un océan de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur », selon certaines estimations. Largement de quoi alimenter un cycle hydrologique, des mers, et donc une diversité d’environnements possibles pour une hypothétique vie martienne.
L’énigme des profondeurs
Mais aucune certitude, car les sondes en orbite ne voient que la peau de la planète rouge, sur quelques millimètres d’épaisseur… Si Mars ne possède plus de minéraux hydratés au-delà de quelques centimètres sous la surface, alors la quantité globale d’eau pourrait être au contraire très faible ! « L’équivalent d’un océan global de quelques mètres de profondeur », précise John Carter.
Un test de la foreuse du rover européen Rosalind Franklin. Crédit : ESA
Dans ce cas, il faudrait soit envisager que l’eau de la Mars primitive se soit échappée de la planète via son atmosphère (« une hypothèse qui n’est pas vraiment en accord avec les observations actuelles de la sonde Maven »), soit invoquer un autre mécanisme de piégeage de l’eau, à très grande profondeur (« certains chercheurs avancent un piégeage sous forme de clathrates, mais ça ne colle pas vraiment avec l’histoire de la formation de Mars »), soit se résoudre à ce que Mars, dès sa jeunesse, ait été une planète relativement sèche.
Pour en avoir le cœur net, il faudra se rendre sur place. Et comme doit le faire un jour Rosalind Franklin, creuser.