Il ne reste plus que quelques jours pour participer à la consultation citoyenne mise en place par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Celle-ci s’achève le 16 novembre 2018 et vise à amender un projet d’arrêté ministériel, loin d’être parfait en l’état. Ce texte fait suite à la loi issue du Grenelle de l’Environnement 2, votée le 12 juillet 2010. Le problème est que la plupart des nombreux décrets d’application nécessaires à son entrée en vigueur n’ont pas été publiés. Des associations ont donc saisi le Conseil d’État, qui leur a donné raison et a imposé au gouvernement de publier un arrêté avant la fin de 2018.
Une avancée historique pour la préservation de l’environnement nocturne
Les défenseurs du ciel noir n’osaient plus en rêver ; pourtant, ils pourraient bientôt disposer d’un texte contraignant pour limiter la pollution lumineuse. « Si ce texte parvient à passer, il sera sans équivalent dans le monde, à part la Slovénie », souligne Pierre Brunet, membre de France Nature Environnement (FNE). Militant de longue date contre la pollution lumineuse, il a participé à la rédaction de ce projet d’arrêté.
Ce texte définit les prescriptions techniques sur le fonctionnement et la conception des éclairages extérieurs aussi bien publics que privés. Il précise par exemple les zones à protéger, la puissance maximale d’éclairement, l’angle maximal d’éclairement, la température de couleur maximale, etc.
Pour le moment, le ministère n’a pas repris à la lettre l’ensemble des préconisations de Pierre Brunet. Dans sa version actuelle, le texte comporte encore de nombreux points perfectibles. Son auteur en fait la liste complète sur son site Wikinight et indique sur quels sujets il incite les citoyens à réagir. Ces réactions peuvent être envoyées par le formulaire situé en bas de la page dédiée du ministère.
Non aux dérogations
Le point le plus problématique est l’article 6 : « il a été rajouté sous la pression des maires de France », précise Pierre Brunet. Dérogatoire, il permet aux communes de « réaliser au plus tard le 1er janvier 2021 un plan lumière démontrant que les choix techniques proposés permettent d’obtenir des résultats équivalant à ceux obtenus par le respect des prescriptions de l’arrêté ». « La grosse difficulté, c’est que personne n’aura l’expertise pour évaluer si le plan lumière des communes est équivalent aux recommandations de l’arrêté », souligne Pierre Brunet. Il recommande donc que ce point soit tout simplement supprimé.
Pas de lumière bleue, néfaste à la santé
« Pour le moment, il y a une hésitation dans le texte sur la limitation de la température de couleur des lumières à 3500K ou à 3000K », pointe Pierre Brunet. Le souci est qu’une lumière d’une température de 3500K conserve encore une part non négligeable de lumière bleue, néfaste pour la faune et la santé. « Cette hésitation est liée au marché des LED. Il y a d’abord eu des LED à 5000K. Mais maintenant, on produit des LED à 3000K [plus jaunes, NDLR], qui commencent à être efficaces. Aujourd’hui, ces LED à 3000K ne consomment pas plus que celles à 5000K, ce qui n’était pas le cas il y a trois, quatre ans. Les LED à 2700K commencent, elles aussi, à avoir une consommation similaire. Il existe même des LED à 2400K, mais il y a encore très peu de fournisseurs pour le moment », détaille Pierre Brunet.
Ces LED plus jaunes sont tout aussi efficaces pour l’éclairage d’une ville, comme le montre l’exemple de Paris : « La capitale a déjà opté pour des luminaires à 3000K, et sur de nombreux trottoirs, on note la présence de lampadaires à 2700K », souligne Pierre Brunet.
Limiter la puissance de l’éclairage
Le texte actuel propose de limiter la puissance au sol à 50 lumens/m². « Cette norme est trop proche de ce qui se fait actuellement avec 33 lampadaires au kilomètre et des ampoules sodium de 100 W. Or, là encore, Paris donne le bon exemple et peut servir d’argument pour une norme plus restrictive. En effet, dans les rues où l’éclairage a été rénové avec des LED, la puissance est située entre 20 et 30 lumens/m². Si on regarde une ville comme Berlin, c’est même bien plus bas, avec 6 à 13 lumens/m² », souligne Pierre Brunet. La préconisation de Pierre Brunet est donc de demander une limitation à 30 lumens/m² maximum.
Mieux informer les citoyens
L’intelligence du texte de Pierre Brunet est de miser sur un contrôle citoyen, car il est illusoire d’espérer que des agents publics se spécialiseront dans le contrôle du respect de la réglementation dans ce domaine. Or, pour que le citoyen puisse agir, il est impératif que le contrôle soit à la portée de tous. « Il est facile de connaître la température de couleur des LED avec certaines applications pour smartphone. Vérifier qu’un lampadaire éclaire vers le bas est également simple un soir de brume ou lorsque le luminaire est le long d’un mur. Pour la luminosité, c’est plus compliqué ; c’est la raison pour laquelle il serait utile que les caractéristiques des installations figurent sur les poteaux », recommande Pierre Brunet.
Comment participer
Quelques autres points sont abordés sur le site de Pierre Brunet, comme la limitation des lumières émises vers l’horizontale, ou encore des contraintes sur les projecteurs à proximité des observatoires. Si vous manquez de temps pour entrer dans le détail, mais que vous souhaitez participer à cette consultation citoyenne, vous pouvez faire un copier/coller des amendements qu’il propose :
Article 2
- Extinction des installations lumineuses situées à l’intérieur de périmètres clos sans activité.
- Suppression de l’exemption d’extinction des installations lumineuses dotées d’un dispositif d’asservissement à l’éclairement naturel.
Article 3
- Suppression de la lumière horizontale des sources puissantes : prescrire un Code Flux CIE n°3 >98.
- Limiter le contenu spectral dans le bleu des installations lumineuses : prescrire des sources « blanc chaud » de température de couleur <3000K.
- Diviser les flux lumineux par rapport aux pratiques actuelles de 50 lumens/m2 (33 lampadaires de 10700 lumens (lampe de 100W) par kilomètre de voie de 7 m de large = 50 lumens/m2) : prescrire un flux lumineux des installations lumineuses de voirie <30 lumens/m2.
Article 4
- Interdiction des canons à lumière à faisceau mobile dans les espaces naturels et le périmètre des sites d’observation astronomique.
Article 5
- Accès du public à l’information sur les installations lumineuses du domaine public.
- Accès à l’information sur le contenu spectral des sources.
Article 6
- Suppression de la possibilité de dérogation aux prescriptions des articles 2, 3 et 4.
Les sites à protéger
Un autre aspect problématique n’est pas abordé par Pierre Brunet. Parmi les textes soumis aux citoyens, l’un d’eux donne une liste de sites astronomiques bénéficiant d’une protection renforcée. Le principe même d’une liste de sites à protéger est étonnant, car tout nouveau site d’importance en sera exclu. Quoi qu’il en soit, le ministère a imposé de limiter cette liste à seulement 11 observatoires.
Dans sa version actuelle, cette liste comporte la mention « le site d’observation de la Ferme des étoiles - observatoire du Pic du Midi de Bigorre ». Le Pic du Midi doit être protégé certes, mais ce n’est pas le lieu d’observation de la Ferme des étoiles. La Ferme des étoiles fait simplement des animations au sommet, et elle a son propre site d’observation dans le Gers. Or, celui-ci ne figure pas dans la liste, c’est une anomalie pour l’un des lieux principaux de l’astronomie en France, avec en particulier le Festival de Fleurance l’été.
Autre curiosité : si le nombre de sites est limité, pourquoi avoir dissocié le Centre d’astronomie de Saint-Michel-l’Observatoire et l’observatoire de Haute-Provence ? Distants de quelques kilomètres seulement, ils se trouvent tous les deux dans le périmètre de la commune de Saint-Michel-l’Observatoire. On s’étonne par ailleurs de la présence de l’observatoire de la Couyère (Société astronomique de Rennes), alors que d’autres structures plus importantes sont absentes de la liste (par exemple l'observatoire du CALA, Ludiver, l’Uranoscope, le Pic des Fées, Sirene, les Côtes-de-Meuse, l’observatoire des Pléiades, l’observatoire de Dax).
Près de 10 ans pour aboutir à une réglementation.
Tout ce travail est la dernière ligne droite pour aboutir à une réglementation, mais il est le fruit d’un long cheminement. Tout a commencé avec le Grenelle de l’Environnement. Lors du Grenelle 2, en 2010, le volet pollution lumineuse a été abordé sous l’impulsion de l’ANPCEN. « Finalement, il y a eu un petit article dans la loi Grenelle disant que l’on doit maîtriser les émissions, mais sans donner de chiffre. En 2013, il y a eu le décret sur les enseignes lumineuses, mais depuis plus rien », raconte Pierre Brunet.
Face à l’absence de réaction du gouvernement, l’association environnementale FRAPNA a initié en 2017 un recours auprès du Conseil d’État. « Ils sont dans les Alpes et ils étaient de plus en plus choqués par l’éclairage des massifs et des pistes de ski », raconte Pierre Brunet. La FRAPNA est adhérente de la FNE, et donc celle-ci a suivi. De même l’ANPCEN a été sollicitée et s’est jointe à eux dans ce recours.
« Finalement, ils ont gagné, le Conseil d’État a sommé le gouvernement de sortir un arrêté d’ici fin 2018. Il se trouve que, par hasard, au même moment, j’avais proposé à la FNE de tenter à nouveau des démarches après du ministère. Au printemps, je me suis donc mis à rédiger un texte, en réutilisant une base que j’avais écrite en 2012. Ce qu’ils proposent aujourd’hui est fortement inspiré de ce que j’avais proposé », se réjouit Pierre Brunet. Malgré ces imperfections, ce texte reste donc une avancée majeure. Il ne manque plus qu’un petit effort citoyen pour atteindre le but !