Il existe peu de photos détaillées de Triton, ce corps glacé de 2700 km de diamètre qui gravite autour de la lointaine planète Neptune. Pourtant, ces images, prises en 1989 par la sonde Voyager 2, ont révélé une curiosité : le satellite est entouré d’une très fine atmosphère de 100 km d’épaisseur et des geysers de glace l’alimentent au moins en partie.
Le fait est intéressant parce que Triton semble avoir un lien de parenté avec la planète naine Pluton. En effet, il tourne autour de Neptune sur une orbite rétrograde. Or, cette particularité montre qu’il s’agit d’un objet formé indépendamment et capturé ensuite par Neptune. Il fait donc a priori partie de la même famille que Pluton et Eris : celle des objets de Kuiper.
Des observations rares
L’intérêt envers les objets de Kuiper a été fortement renforcé par le survol de Pluton par New Horizons en 2015. La sonde américaine a en effet souligné l’extraordinaire complexité de ces planètes glacées. Elles connaissent des variations météo saisonnières et une géologie active à base de glace d’azote visqueuse. Triton a un intérêt supplémentaire en raison de la probable présence de geysers dont les traces ont été observées en 1989 par la sonde Voyager 2.
Seul problème : aucune sonde n’est restée longtemps à proximité de Neptune, comme Cassini a pu le faire dans le système de Saturne, et les occasions d’arracher des informations scientifiques nouvelles à Triton sont limitées. La dernière observation scientifique d’ampleur de l’atmosphère de Triton remonte à vingt ans.
Car depuis la Terre, les astronomes en sont réduits à attendre des événements particuliers, tels que des éclipses d’étoiles par Triton. Quand cela se produit, il est possible de mesurer comment l’atmosphère qui entoure le satellite atténue et dévie les rayons de l’étoile au moment où elle passe derrière, et en tirer ainsi des mesures (épaisseur, pression, composition, température).
La France est aux premières loges
Par chance, la France est idéalement située pour observer Triton le 5 octobre 2017, alors que la satellite passe devant une étoile de magnitude 12,5 autour de 23h48 en temps universel (le 6 octobre, vers 1h48 en heure locale). L’étoile occultée est relativement lumineuse, puisqu’elle est en théorie visible à l’œil dans un télescope de 200 mm. Son éclat va diminuer d’un facteur 3 environ lorsque Triton passera devant.
Le phénomène est relativement long, il dure un peu plus de 160 secondes. Triton est en effet un objet imposant de 2707 km de diamètre et son mouvement apparent est lent en raison de sa grande distance au Soleil et à la Terre.
L’occultation du 5 octobre permet d’étudier l’atmosphère de Triton. Étude d’autant plus intéressante que celle-ci est en partie alimentée par les geysers. Au lieu de s’éteindre brutalement, la lumière de l’étoile va diminuer progressivement.
Voir l’atmosphère de Triton
Un observateur situé sur la ligne centrale de l’occultation peut même s’attendre autour de 23h48 TU à voir ce qu’on appelle un flash central. Il est dû à la lumière de l’étoile réfractée par l’atmosphère de Triton et focalisée dans la direction de l’observateur. Pour les amateurs d’occultations, détecter ce flash est le Graal car son intensité révèle des informations précieuses sur les couches les plus basses de l’atmosphère.
Une occultation d’étoile double par Titan en 2001 observée à haute résolution illustre parfaitement le phénomène :
D’où voir le flash central ?
Si vous souhaitez observer, rendez-vous sur la page de l’équipe Lucky Star, dirigée par Bruno Sicardy à l’observatoire de Meudon. L’astronome Josselin Desmars vient de mettre en ligne la dernière prévision issue d’observations récentes menées par ses collègues brésiliens.
La carte du bas permet de savoir à quelle distance vous vous situez de la ligne centrale. Il reste une imprécision de l’ordre de la centaine de kilomètres sur la position de la ligne centrale, car Triton est un objet lointain. En cliquant sur votre lieu d’observation, vous saurez à quelle distance vous vous situez de la ligne centrale théorique.
Pour voir le flash, il faut se trouver à une distance maximale de l’ordre de 50 à 100 km de la ligne de centralité. Soulignons que ce flash n’est que la cerise sur le gâteau. Des observations réalisées depuis n’importe quel lieu en France sont potentiellement utiles scientifiquement.
Comment observer ?
Si vous voulez participer à l’observation, vous devez avoir un minimum de matériel et procéder avec méthode.
1 Vous devez idéalement utiliser un télescope de plus de 200 mm de diamètre et une caméra vidéo noir et blanc récente, telle que celles utilisées pour photographier les planètes. Les lentilles de Barlow et les filtres sont inutiles.
2 Il est important d’avoir un ordinateur relié à Internet (éventuellement via votre téléphone) afin que son horloge soit mise à jour précisément. Pour le forcer à se mettre à l’heure, vous pouvez utiliser le logiciel NetTime. La mise à jour doit se faire dans les minutes qui précèdent l’occultation.
3 Il faut que vous ayez dans le champ une ou deux étoiles non surexposées. Elles serviront de référence pour mesurer la luminosité de Triton.
4 Il est important de faire une première observation de Triton et de l’étoile en début de nuit lorsque les deux objets seront encore séparés l’un de l’autre. Ces images de référence permettront de voir la différence de luminosité entre les deux objets (elle dépend du type de caméra utilisé).
5 Il faut chercher à avoir un maximum de résolution temporelle. C’est-à-dire baisser le temps de pose le plus possible. Il faut néanmoins que Triton reste assez bien visible et non noyé dans le bruit. Typiquement avec un télescope de 300 mm et une caméra récente, il doit être possible de faire 5 à 15 images par seconde. Vous pouvez pousser le gain de la caméra, mais ne touchez surtout pas au paramètre « gamma ».
6 Par sécurité, déclenchez la prise de vue au moins 10 minutes avant l’heure de début de l’occultation (le début au lieu autour de 23h47 TU) et n’hésitez pas à poursuivre d’autant après.
7 Enfin, pour enregistrez vos images, préférez le format "fits" ou une vidéo au format "ser" afin d'avoir un maximum de de dynamique.
L’utilité de vos observations
Si vous parvenez à réaliser cette observation en respectant tous les critères indiqués plus haut, n’hésitez pas à partager vos données pour qu’elles soient exploitées scientifiquement. Contactez-nous à l’adresse : ouvertlanuit[at]cieletespace.fr. Nous vous mettrons en relation avec l’observatoire de Paris.
L’intérêt de ces données est qu’elles permettent dans le temps de voir les évolutions dans l’atmosphère de Triton en fonction des saisons et de l’activité cryovolcanique. Et il est probable qu’un jour elles pourront être reliées aux observations d’une sonde spatiale. Ça a été le cas des nombreuses observations de l’atmosphère de Pluton effectuées depuis le sol depuis les années 1980 et reliées aux observations de New Horizons.
Il est en effet possible que, dans les décennies à venir, une mission spatiale s’intéresse de près à Triton. Il y a de nombreuses raisons plaidant pour cette destination. Dans la logique d’exploration de la Nasa, une mission de survol est suivie d’une mission de mise en orbite, avant d’envisager un éventuel atterrissage.
Le survol de Pluton par New Horizons a dévoilé un monde si intéressant qu’il est très tentant d’aller placer une sonde en orbite autour de Pluton. Le problème, c’est que la gravité de la planète naine est trop faible pour y parvenir.
Finalement, Triton est le seul objet de Kuiper facilement accessible pour une mise en orbite (autour de Neptune en l’occurrence). La cible est d’autant plus logique que, pour le moment, des sept planètes connues en plus de la Terre, deux ont fait l’objet uniquement d’un survol : Uranus et Neptune. Or de ces deux cibles, Neptune semble plus intéressante, précisément en raison de la présence de Triton autour d’elle.
Le regretté André Brahic, codécouvreur des anneaux de Neptune, plaidait d’ailleurs depuis de nombreuses années pour une telle mission. L’intérêt d’explorer Uranus et Neptune est aussi renforcé par le fait qu’elles ne sont plus vraiment considérées comme des géantes gazeuses, mais plutôt comme des planètes-océans. De nombreuses exoplanètes de ce type ont été découvertes, et l’on ne sait pour le moment que très peu de choses à leur sujet.