Il est 6h05 du matin dans le sud de la France, lundi 5 septembre 2022, quand Romain Lucchesi braque son appareil photo vers le nord-ouest. En séjour dans le Vaucluse, le jeune astrophysicien est également photographe par passion. « Ça faisait un moment que je voulais voir le train de satellites Starlink rapprochés les uns des autres, avant qu’ils ne s’éparpillent », commente le postdoctorant à l’observatoire de Florence. Il a donc planifié son observation après avoir identifié le décollage d’une Falcon 9 depuis cap Canaveral, plus tôt dans la nuit. La fusée de SpaceX emporte 51 Starlink constituant le 59e lot de satellites de communication envoyé dans l’espace par l’entreprise d’Elon Musk.
Deux heures et une orbite et demi plus tard, les Starlink sont déployés à quelque 340 km d’altitude (destination finale : 540 km). À peine mis sur orbite, ils sont visibles sur la vidéo sous la forme d’une petite trainée lumineuse proche de l’étage de fusée. De part et d’autre de ce petit trait lumineux, dont la magnitude atteint 2,4 à son maximum d’éclat, quelques points s'allument et s'éteignent. Ils sont produits par des débris tournant sur eux-mêmes.
Avec panaches
« Les panaches de gaz, en revanche, ont été une surprise », raconte Romain Lucchesi. Par coïncidence, l’astrophotographe a assisté à plusieurs manœuvres de la fusée. Visible dès le début de la vidéo, un nuage de gaz de la forme d’un bulbe indique que le second étage a tout juste allumé son moteur pour freiner, afin de se désorbiter puis rentrer se consumer dans l’atmosphère. Puis, un panache en forme de papillon se dessine jusqu’à la minute 0:31. À ce stade, sont vidés de façon symétrique des petits réservoirs d’hélium, appelé COPVs, dont le rôle est de maintenir le carburant de Falcon 9 sous pression. « On voit bien l’impulsion puissante faire une vague qui se termine rapidement », observe Gauthier Jourdain, consultant en architecture de systèmes complexes.
À partir de la minute 0:47, un nouveau nuage de gaz apparaît. Il correspond à la purge des deux réservoirs (oxygène et kérosène) dans l’espace. Une spirale se forme : le corps de la fusée se met à tourner sur lui-même. « C’est un effet collatéral dû au fait qu’il ne soit plus sous contrôle », ajoute l’ancien ingénieur aérospatial. Cette phase se poursuit jusqu’à la fin de la vidéo, tandis que la fusée passe devant la constellation d’Orion, direction sud-est (approx. à la minute 2:50).
Dégazer avant de brûler
En la vidant de tout fluide résiduel, SpaceX diminue les risques d’éparpillement des fragments produits pendant la rentrée dans l’atmosphère. Chauffé, le gaz peut provoquer des explosions, projetant ces débris hors de la zone de retombée définie comme étant sûre.
Au 8 septembre 2022, 3259 satellites Starlinks ont été envoyés en trois ans ; 2991 sont encore en orbite et 2956 en état de fonctionner. Pendant juillet et août seuls, dix nouvelles grappes de Starlinks ont décollé. Avant que SpaceX n’en lance le premier exemplaire, on comptait moins de 4700 satellites, actifs ou défunts, en orbite autour de la Terre.