« Le mystère est enfin résolu : l'eau coule actuellement sur Mars ! » Voilà en substance ce qu'a annoncé la Nasa, le 28 septembre 2015, après avoir ménagé le suspense. Qu'en est-il vraiment ? Décryptage avec Nicolas Mangold, spécialiste de géologie martienne et membre de l'équipe Curiosity.
Le mystère était celui-là : quel est le phénomène à l'origine de ces ravines sombres, observées sur plusieurs sites martiens, notamment dans Valles Marineris, aux latitudes moyennes et proches de l'équateur, sur les images de Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) ?
Elles n'apparaissent qu'en été, lorsque l'atmosphère se réchauffe au point que la température atteint -20°C, et s'écoulent quelques centaines de mètres en plusieurs semaines.
Sels hydratés
Ce que la Nasa vient de révéler, c'est que le spectromètre CRISM (un instrument capable de décomposer la lumière d'un astre afin de connaître sa composition), embarqué sur la sonde Mars Reconnaissance Orbiter (MRO), a découvert que les ravines sombres de quatre sites martiens différents sont constituées de sels hydratés, plus précisément des chlorates et perchlorates de magnésium.
« Ces derniers ont la faculté de faire baisser la température à laquelle l'eau gèle, explique Nicolas Mangold. Dans les conditions martiennes actuelles (-70°C en moyenne et une atmosphère 100 fois plus ténue que sur Terre), l'eau ne passe pas par l'état liquide : soit elle gèle, soit elle se sublime (elle passe directement de l'état solide à l'état gazeux). Mais la présence de ces sels peut lui permettre de rester liquide ».
Confirmation d'une théorie scientifique
Les ravines en question on été découvertes en 2011. Elles diffèrent des fameux « gullies », des épanchements plus étendus découverts dans les années 1990 et qui eux aussi avaient été associés à l'eau liquide en surface. En effet, alors que les gullies se sont formés voici plusieurs centaines de milliers d'années, ces ravines sombres apparaissent et se transforment en permanence sous l'œil des sondes en orbite autour de Mars.
Et jusque-là, tout comme pour les gullies, leur origine faisait débat. Une activité liée à de la glace carbonique (relativement abondante sur Mars) pouvait les expliquer. Tout comme un phénomène sec, de dilatation de gaz et de roches, qui engendrerait des éboulements.
Mais si de l'eau liquide entrait en jeu dans le phénomène, on devait retrouver des sels hydratés. Or, c'est précisément cela que MRO a permis de déceler. Il s'agit donc de la confirmation de cette hypothèse.
Le premier indice fort d'une eau liquide sur Mars
« La corrélation spatiale entre ces ravines et ces sels est très nette, poursuit le chercheur. C'est donc une belle avancée scientifique. Mais le communiqué de presse a clairement été gonflé, l'effet d'annonce est un peu trop gros. Certes, il s'agit de la preuve la plus forte que de l'eau coule actuellement sur Mars. » Un avis partagé par François Forget, du Laboratoire de météo dynamique, spécialiste du climat martien : « On a pour la première fois un indice très fort d'eau liquide sur Mars. »
Pourtant, cet indice n'est pas encore une preuve absolue, comme l'indique Nicolas Mangold : « Nous ne sommes pas encore certains qu'elle coule en surface ! Ces ravines pourraient être par exemple créées par des remontées d'eau souterraine juste sous la surface. Et s'il est bel et bien avéré qu'elle coule en surface, ce n'est pas sous la forme de torrents, ni même de petits ruisseaux, c'est sous la forme d'une boue saturée en sel dont il n'existe pas d'équivalent sur Terre, où les conditions climatiques sont très différentes. »
L'origine de l'eau encore en débat
Quel que soit le scénario, il reste désormais à comprendre comment cette eau a pu arriver là. Car en été, les endroits où les ravines ont été photographiées sont extrêmement secs. « On peut imaginer un ravitaillement par l'atmosphère, propose le chercheur, mais sur les sommets de ces pentes, nous n'avons jamais observé de givre en hiver. »
Vie difficile en eau salée
Ces ravines sombres constituent-elles des cibles de choix pour de futures missions à la recherche de vie martienne microbienne ? « Une boue saturée en perchlorate n'est franchement pas un endroit favorable à la vie, analyse Nicolas Mangold. Mais si on considère qu'on a tout de même des chances d'y détecter de la vie, vu que l'on a découvert dans le désert d'Atacama (Chili) des bactéries qui s'épanouissent dans des milieux salés, nous ne pourrons pas de sitôt envoyer de rover analyser ces ravines.
D'une part, la Nasa n'est pas équipée pour monter de si fortes pentes. D'autre part, nous nous sommes donnés pour consigne de ne pas “contaminer” des sites qui abritent potentiellement la vie. Il est beaucoup plus probable que les deux prochaines missions, Exomars et Mars2020 se concentrent sur la recherche de vie passée, dans les sédiments. La mission suivante se concentrera peut-être sur la vie actuelle. »
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