« Les représentants des médias sont invités à assister à une conférence de presse organisée par la Royal Astronomical Society le lundi 14 septembre, afin de connaître les détails d’un résultat majeur en astronomie. Ces résultats sont strictement sous embargo jusqu’au début de la conférence de presse. » Depuis la diffusion le 9 septembre 2020 de ce communiqué de presse, tout ce que la toile compte de chercheurs, journalistes ou vulgarisateurs intéressés par les sciences du ciel se demandait de quoi il pouvait bien retourner. Grande découverte ou, comme de plus en plus souvent hélas, effet d’annonce ?
L’information a fini par fuiter avant même la conférence de presse de ce lundi 17h : grâce au radiotélescope James Clerk Maxwell à Hawaï et à l’interféromètre Alma au Chili, une équipe menée par l’astrophysicienne Jane Greaves, de l’université de Cardiff, a découvert de la phosphine (PH3) dans l’atmosphère de Vénus. Une molécule, assurent ces chercheurs, dont aucun processus chimique connu, « ni dans l’atmosphère, les nuages, la surface et le sous-sol, ni via les éclairs, l’activité volcanique ou l’impact de météorites », ne peut expliquer la présence. Sans oser affirmer dans leur publication scientifique qu’elle a découvert la vie, l’équipe insiste beaucoup sur l’hypothèse dans sa communication. C’est que, sur Terre, la phosphine est synthétisée par l’activité biologique...
Dans les nuages de Vénus
Des chercheurs envisageraient donc la présence d’organismes sur Vénus, cette fausse jumelle de la Terre portée à 460°C, écrasée sous une pression de 90 atmosphères ? Pas exactement sur Vénus, mais dans ses nuages. Vers 50 km d’altitude, là où la pression n’est plus que de 1 bar (comparable à celle du sol terrestre) et où la température n’est plus que de quelques dizaines de degrés. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’endroit a plusieurs fois été envisagé comme un site possible de développement de la vie.
Dans les années 1960 déjà, le célèbre astronome Carl Sagan explorait cette possibilité. Et en 2018 encore, le planétologue Sanjay Limaye (université du Wisconsin) avançait l’hypothèse d’une biochimie tirant parti des conditions acides qui règnent dans ces nuages et de la présence de CO2. Des pigments organiques, en particulier, pourraient expliquer la variabilité de l’éclat de la planète dans l’ultraviolet. « Peut-être que la vie est apparue au sol dans le passé, lorsque Vénus était plus froide et possédait des océans, et qu’elle a migré dans les nuages où elle aurait survécu jusqu’à aujourd’hui », avance l’une des signataires de l’article, Sara Seager (MIT).
Une enquête qui reste à faire
« Avant d’envisager cette explication, il faudrait d’abord pouvoir réfuter toutes les autres. La vie, c’est l’hypothèse qu’il faut considérer en dernier ! » réagit Louis d’Hendecourt, vice-président de la société française d’exobiologie. L’astrochimiste se dit « furieux de ces méthodes et de ces conclusions bien trop hâtives. » Tout comme sa collègue microbiologiste Purificacion Lopez Garcia (université Paris-Sud), qui qualifie « de grand n’importe quoi » la communication autour de cette mesure de phosphine.
Si la découverte de la molécule PH3 sur Vénus est intéressante en soi – « plus encore si on ne l’explique pas : c’est le début d’une enquête scientifique », souligne le spécialiste des atmosphères planétaires Franck Selsis au laboratoire d’astrophysique de Bordeaux –, les chercheurs n’apportent « aucun début de preuve laissant penser que ces phosphines sont d’origine biologique ! »
« Pourquoi ne se demandent-ils pas plutôt quel pourrait être ce nouveau mécanisme de synthèse abiotique de la phosphine, qu’il reste à découvrir ? Voilà une vraie question scientifique », insiste Purificacion Lopez-Garcia. Pour cela, il faudrait s’attarder sur les conditions physico-chimiques régnant dans les nuages de Vénus. Or, il y a tant de choses que l’on ignore sur cette planète ! « On ne sait pas, par exemple, comment se font les échanges entre le sol et l’atmosphère », indique Franck Selsis. C’est que Vénus est très étrange… « On sait qu’au niveau du sol, le CO2 y est probablement supercritique : il se comporte à la fois comme un gaz et comme un liquide. Mais on connaît mal la chimie du CO2 supercritique… Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de notre ignorance. »
Le précédent martien
Plus fondamentalement, l’astrophysicien insiste sur la notion de biosignature, que Jane Greaves et ses collègues mettent en avant à tort selon lui. « Une biosignature est une preuve de vie. Pas simplement un indice de vie. La phosphine, qui est la forme la plus commune du phosphore dans les milieux riches en hydrogène, ne peut pas être une biosignature car c’est une molécule trop simple. D’autant que nous n’avons pas une connaissance poussée du contexte dans lequel elle est synthétisée sur Vénus. »
Le chercheur cite l’exemple des sondes Viking qui se sont posées sur Mars en 1976. L’une de leurs expériences d’exobiologie indiquait clairement la présence de vie. « L’expérience fonctionnait bien, mais l’interprétation de ses données était fausse, car nous connaissions mal Mars. Il s’y déroulait des processus chimiques auxquels nous n’avions pas pensé. Heureusement, il y avait deux autres expériences à bord. Ce sont elles qui, en apportant d’autres informations de contexte, ont permis de comprendre ce qu’il se passait. Là, les auteurs avancent l’hypothèse d’une vie extraterrestre sans trop se poser de questions ! »
Une analyse partagée par Jean-Claude Guillemin, à l'Institut des sciences chimiques de Rennes. S'il considère que « c'est une découverte intéressante, qui montre une complexité chimique de Vénus supérieure à ce que nous pensions jusqu'ici », le chimiste trouve « insupportable cette habitude des astrophysiciens de voir des composés prébiotiques ou des traces de vie possible dans n'importe quelle molécule. » Tout en remarquant que « ça aide à faire passer les articles à un niveau plus élevé. »
Le souci de promotion d’un travail de recherche aurait-il pris le pas sur la transmission de la démarche scientifique ? Pour Franck Selsis, « tout ce bruit fait en tout cas de la mauvaise publicité à l’exobiologie. Au final, que va-t-il en rester dans l'esprit des non spécialistes ? » Un mot sans doute : phosphine.