Vera Rubin aurait mérité d’obtenir le prix Nobel de physique. Mais l'astrophysicienne américaine s’est éteinte le 26 décembre 2016, à l’âge de 88 ans, sans cette récompense suprême. Même si elle a été décorée de la Médaille nationale des sciences, en 1993, par le président Bill Clinton, sa reconnaissance aura été tardive. Pourtant, sa contribution scientifique est majeure. Car c’est elle qui, au début des années 1970, a mis en lumière l’un des plus grands mystères de l’Univers : celui de la matière noire.
Des galaxies qui tournent trop vite
Vera Rubin a 42 ans, en 1970, quand elle s’attaque seule, et dans l’indifférence générale, à un problème que les astronomes de l’époque préfèrent tout simplement éluder : celui de la vitesse de rotation des galaxies sur elles-mêmes. Dans les années 1930, le génial mais irascible Fritz Zwicky avait bien été le premier à noter une anomalie dans ce mouvement. Mais personne n’avait jugé le problème important.
Vera Rubin refait alors les observations avec du matériel plus performant et confirme ce que des mesures réalisées à l’époque de sa naissance suggéraient : les étoiles de la périphérie des galaxies tournent trop vite, comme si une grande quantité de matière invisible se cachait dans les galaxies.
Elle commence par la galaxie spirale la plus proche, M31, dans la constellation d’Andromède. Mais, habituée au scepticisme de ses pairs masculins, elle poursuit sur d’autres galaxies. Et partout, les mesures rendent un verdict identique : l’immense majorité de la masse des galaxies est cachée. On n’en voit que les effets gravitationnels sur les étoiles.
D’abord appelée masse cachée, cette quantité aussi énorme qu’indétectable devient la matière noire. Aujourd’hui encore, les astronomes se perdent en conjectures pour tenter de comprendre ce contenu étrange dont ils perçoivent la présence : s’agit-il d’une matière exotique qui échappe à leurs moyens de détection ou d’une loi de la gravitation qui n’est pas celle qu’ils croient ?
Les indices du "grand attracteur"
Avant de lever le voile sur la matière noire, Vera Rubin s’est illustrée par des résultats que ses collègues auront mis du temps à reconnaître. Le premier concerne les mouvements résiduels des galaxies si l’on élimine celui, dominant, de l’expansion de l’Univers, découvert dans les années 1920 par Edwin Hubble. À la fin des années 1940, alors étudiante en maîtrise, Vera Rubin trouve qu’il y a bien des petites dérives. Mais son travail est refusé en bloc, y compris par l’Astrophysical Journal et l’Astronomical Journal, les deux revues de référence en la matière.
Le sujet lui permet tout de même d’obtenir son diplôme. Et elle ne l’abandonne pas : quinze ans plus tard, avec son collègue Kent Ford, du Lowell Observatory, elle multiplie les observations et persiste. Une fois encore, les astronomes doutent de son résultat et vont même jusqu’à s'en moquer, le surnommant « effet Rubin-Ford ». Mais quelques années plus tard, ses mesures conduisent l’ensemble de la communauté à reconnaître l’existence d’un « grand attracteur » dans les environs de la Voie lactée. Un grand attracteur, mieux connu aujourd’hui sous l’appellation Laniakea.
L'intuition des filaments de galaxies
Entre-temps, Vera Rubin obtient, en 1954, son doctorat avec le cosmologiste George Gamow grâce à un sujet peu en vogue à l’époque : la répartition non uniforme de la matière dans l’Univers. L’agencement des galaxies le long de vastes filaments, observé aujourd’hui, en est l’éclatante démonstration.
Dans les années 1990, Vera Rubin remarque une bizarrerie dans la galaxie spirale NGC 4550 : des étoiles tournent dans un sens et d’autres dans le sens inverse. Elle l’explique par le fait que deux galaxies ont fusionné pour n’en former qu’une seule. Là encore, elle a raison. Aujourd’hui, les fusions de galaxies sont considérées comme courantes et constituent même l’un des phénomènes fondateurs des grandes galaxies.
Malgré ses contributions majeures, Vera Rubin sera longtemps restée une figure cachée de l’astronomie.
À lire : « Vera Rubin, la femme qui a changé la face de l’Univers », article de Yaël Nazé, publié dans Ciel & Espace n°437, d’octobre 2006, p. 58.
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